La catalyse est un des piliers du développement de la chimie durable. À cause d'un nombre important d'étapes et de leur complexité, la mise au point de catalyseurs redox inorganiques chimiques reste descriptive. Au contraire, la biocatalyse est en plein essor en partie parce que les enzymes fonctionnent avec des nombres de cycles importants et conduisent à une sélectivité inégalée pour des réactions très difficiles en conditions douces. Cette particularité est le résultat d'un contrôle très fin du site actif, lié à l'environnement protéique, à une séquence optimisée des étapes de la catalyse et à l'orientation optimale du substrat au cours de la catalyse.
Pour comprendre les modes de contrôles de la réaction enzymatique, des chercheurs de notre laboratoire, en collaboration avec Christine Cavazza de l’IBS ont développé des métalloenzymes artificielles, où une protéine joue le rôle d'hôte d'un catalyseur inorganique [1]. Ce polypeptide naturel contrôle ainsi la sélectivité de la réaction et le catalyseur inorganique en dicte la nature.
Ils sont pour la première fois parvenus à maîtriser une méthode de construction de ces systèmes en contrôlant l’assemblage des trois constituants de l’objet hybride [2] : un site actif métallique est stabilisé au sein d’une poche hydrophobe d’une protéine (NikA, une protéine de transport du nickel). Cette protéine est capable de fixer des molécules métalliques à condition de créer un pont salin entre une fonction acide du ligand métallique et un résidu Arginine unique de la protéine. Ici, la démarche a consisté à insérer des catalyseurs inorganiques ferriques bio inspirés, modifiés par des substituants carboxylates [3]. La structure de l’hybride ainsi obtenu démontre que la stabilité de l’entité métallique est liée à la présence de ce pont salin qui engendre de ce fait une stabilité sub-micromolaire [4]. Alors que le corps de la métalloenzyme était construit, son activité restait à démontrer.
Afin de mimer les réactions d’hydroxylation des dioxygénases, ces chercheurs ont alors choisi de créer une activité de transfert d’oxygène sur un atome de soufre. L’originalité de l’approche a été de sélectionner le substrat de cette enzyme artificielle à l’aide de méthodes calculatoires d’accostage moléculaire afin de définir le site de fixation du substrat. À partir des structures tridimensionnelles d’hybrides NikA⊂FeL (Figure) et de la base de données ZINC (composés disponibles dans le commerce pour le criblage virtuel), il a été possible de sélectionner une famille de molécules dont la position au sein de l’enzyme reproduisait un état de transition potentiel du transfert d’oxygène.
Représentation de la position du substrat choisi pour l’oxydation de sa fonction thioéther par le complexe de fer FeL au sein de NikA.
Il en ressort que :
• seul l’hybride est capable d’oxyder les substrats et de produire le sulfoxyde de façon sélective avec des nombres de cycles catalytiques jusqu'à maintenant inatteignable en catalyse chimique ;
• le changement de mode de coordination du complexe inorganique à l’intérieur de l’enzyme affecte la réactivité, ce qui confirme le siège de la réaction au site métallique ;
• la structure du substrat influence la réaction : des substituants à fort encombrement stérique empêchent le substrat de se lier à la protéine ce qui inhibe l’activité de l’enzyme. Cette démonstration est validée par leur position dans la protéine visualisée grâce aux calculs d’accostage moléculaire.
Cette méthode permet d’envisager une stratégie de conception d’enzymes artificielles qui tient compte pour la première fois de l’importance du site de fixation du substrat. Elle représente une nouvelle étape dans le développement d’hybrides issus de la chimie et la biologie pour la chimie durable. Elle devrait permettre de développer des analogues de médicament comme l’oméprazole, molécule anti-ulcère qui inhibe les pompes à protons des cellules pariétales de l’estomac et dont le squelette est partiellement retrouvé dans les substrats de l’enzyme artificielle caractérisée ici.
Descriptive : il n'existe pas de catalyseurs qui soient viables pour l'industrie. Ce domaine reste donc descriptif, et seuls les mécanismes en sont expliqués.