La nitrogénase est une métalloenzyme complexe qui permet aux seules bactéries la possédant de réduire l'azote atmosphérique en ammoniaque, nécessaire à la biosynthèse de nombreux composants cellulaires (protéines, acides nucléiques, coenzymes,…). Ainsi, cette réaction, également appelée la fixation d'azote, permet aux bactéries qui la catalysent (dites diazotrophes) de se développer en l'absence d'azote "fixé" et d'utiliser l'azote moléculaire comme seule source azotée. La réduction d'une molécule d'azote conduit non seulement à la production de deux molécules d'ammoniaque, mais aussi à la formation d'une molécule d'hydrogène. De plus, en l'absence d'azote moléculaire, la nitrogénase continue à réduire des protons en H2 et agit, en quelque sorte, comme une hydrogénase.
Une forte production d'hydrogène par des bactéries de type "pourpres non soufrés" a été démontrée dans les années 40, mais il a fallu attendre la fin des années 70 pour conclure que cette production était catalysée par une nitrogénase. Cette découverte suivait de peu la première crise de pétrole, et le potentiel du système pour la conversion d'énergie solaire était tout de suite reconnu.
Au lieu de catalyser la photolyse d'eau, les bactéries photosynthétiques catalysent la photolyse de composés organiques, ce qui laisse entrevoir des applications dans le domaine de la dépollution et la conversion de déchets organiques, d'origine agro-alimentaire, en hydrogène. Rhodobacter capsulatus est particulièrement bien adaptée à ce type d'application puisque capable de dégrader une large gamme de composés organiques simples et de les convertir en hydrogène. La conversion de ces composés par fermentation classique, à l'obscurité, est également envisageable, mais le système photosynthétique présente les avantages suivants :
(i) le rendement théorique de conversion en H2 par photo-fermentation est plus élevé que celui par fermentation ;
(ii) le procédé de photo-fermentation est plus facile à maîtriser;
(iii) la nitrogénase n'est pas rétro-inhibée par l'H2, à la différence des hydrogénases impliquées dans la fermentation, et continue à en produire jusqu'à plus de 50 atmosphère ;
(iv) le gaz produit par photo-fermentation est plus pur que celui produit par la fermentation et peut être utilisé directement dans des piles à combustibles (Figure).
Culture de Rhodobacter capsulatus produisant de l’H2 à partir de l’acide lactique. Le biogaz produit, qui contient environ 95% d’H2 et 5% de CO2, passe directement dans une pile à combustible.
À l’heure actuelle, certaines entreprises de laiterie ou de fromageries produisent du méthane à partir du lactosérum, et les résidus de production de sucre sont utilisés pour produire du bioéthanol. Ces produits énergétiques pourraient être avantageusement remplacé par le bio-hydrogène, qui est considéré comme un vecteur énergétique de troisième génération selon le programme Bioénergies de l’ANR.
Les études fondamentales menées par des chercheurs de notre laboratoire ont permis d’optimiser la production et l’activité de la nitrogénase, en ce qui concerne la production d’H2, dans des conditions précises. Ces études ont les objectifs suivants :
(1) optimiser le métabolisme de divers substrats organiques et l’acheminement des électrons vers la nitrogénase par ingénierie métabolique après avoir identifié et modélisé les voies métaboliques impliquées ;
(2) analyser et améliorer la performance de Rhodobacter capsulatus dans des jus de fermentation, c’est-à-dire, des effluents issus de systèmes de traitement de déchets par fermentation ;
(3) mettre au point à l’échelle du laboratoire, d’un photo-bioréacteur pilote pour la production d’H2 fonctionnant à partir d’effluents industriels réels, soit directement (en co-culture ou avec des souches génétiquement modifiées), soit indirectement, après prétraitement des effluents par fermentation.
Dans la nature, le rôle primordial de la nitrogénase, même chez les bactéries photosynthétiques, est indiscutablement la fixation de l’azote atmosphérique, qui permet aux bactéries de se développer en l’absence d’un autre composé azoté comme l’ammoniaque ou le nitrate. Chez les bactéries comme R. capsulatus, c’est l’importance de son activité secondaire de production d’H2 qui l’a rendue intéressante pour des applications énergétiques. Chez cette bactérie, le taux de synthèse de la nitrogénase peut atteindre 40% des protéines totales solubles, ce qui compense la faible activité catalytique de la nitrogénase et donne aux bactéries la capacité de produire de l’H2 à des taux intéressants (1 ml/min/l culture en batch, 2 ml/min/l en culture continue). Néanmoins, en dehors des applications possibles, le phénomène de la production d’H2 par les bactéries phototrophes soulève des questions intéressantes sur la physiologie et le métabolisme cellulaires. La surproduction de nitrogénase qui est observée en conditions de production d’H2 se produit en absence de source exogène d’azote, ce qui implique un recyclage important de protéines intracellulaires qui n’a jamais été étudié. Le taux d’hydrolyse d’ATP couplé à la photoproduction d’H2 est également très important par rapport au taux de synthèse globale d’ATP, mais les mutants dépourvus de nitrogénase ne semble ni avantagés ni désavantagés dans des conditions normales de culture au laboratoire. En revanche, en culture continue et en conditions de limitation de substrat azoté (ammoniaque), des mutants spontanément dépourvus de nitrogénase s’accumulent. Ceci ne peut pas s’expliquer par une économie d’énergie car les cultures ne sont pas limitées en apport énergétique. Une explication plausible est que le substrat azoté économisé par la perte de la nitrogénase est utilisé pour produire davantage de biomasse et donc d’unités cellulaires. Cependant, cette explication met en cause l’hypothèse du rôle physiologique de la production d’H2 comme une «soupape» pour dégager un excédent d’énergie et de pouvoir réducteur!
La nitrogénase joue un double rôle chez R. capsulatus : fixation d’azote et photoproduction d’H2. La régulation de la synthèse et l’activité de ce bio-catalyseur a été bien étudiée et peut être modifiée génétiquement pour améliorer le taux de production d’H2. L’enjeu actuel consiste à comprendre l’intégration de ce processus dans le métabolisme cellulaire et d’utiliser cette information afin d’améliorer les performances du système dans des procédés de biodépollution couplés à la photoproduction d’hydrogène.